Arthur Gyl interviewe Jean-Christophe Ploquin
Arthur Gyl : Alors Jean-Christophe, on se retrouve encore ! Cette fois, j’aimerais comprendre comment tu crées tes jeux musicaux. D’où vient cette idée bizarre de mélanger musique et gameplay ?
Jean-Christophe Ploquin : [rires] Bizarre, tu dis ? Venant de quelqu’un qui écrit de la science-fiction, c’est un comble ! Mais sérieusement, tout a commencé avec l’exposition acousmatico-plastique “Musique & Moi” que j’ai réalisée avec Louis Jeanne en 2022. Le public avait beaucoup apprécié découvrir la musique acousmatique de façon ludique et interactive. Puis mon fils Alexandre a fini ses études d’animation à Laniméa et s’est lancé à concevoir un jeu point-and-click. Ça m’a fait tilt ! Et si j’adaptais “Musique & Moi” en jeu vidéo ?
A.G. : Ah, l’influence familiale ! Mais concrètement, comment on passe d’une exposition avec des sculptures sonores à un jeu vidéo ? C’est pas le même medium du tout !
J-C.P. : Exactement ! C’est là que ça devient passionnant. Dans l’expo, les visiteurs touchaient des sculptures pour déclencher des sons, créaient leurs propres compositions… Le principe était déjà interactif. Pour le jeu, j’ai gardé cette idée : le joueur explore un univers musical, mais au lieu de sculptures, il clique sur des éléments visuels qui déclenchent des séquences sonores. La musique se construit au fur et à mesure de l’exploration.
A.G. : Attends, tu me dis que la musique change selon ce que fait le joueur ? Comment tu fais ça techniquement ? Parce que moi, quand j’écris, mes mots ne changent pas selon qui les lit !
J-C.P. : [rires] Ah, mais imagine si tes romans s’adaptaient au lecteur ! En fait, j’utilise des “stems” - des couches musicales séparées que je peux activer ou désactiver en temps réel. Avec Godot comme moteur de jeu et Ardour pour l’audio, je crée des boucles musicales qui s’assemblent différemment selon les actions du joueur. C’est comme avoir un orchestre virtuel qui réagit aux clics !
A.G. : Godot, Ardour… Tu parles chinois ! Mais dis-moi, quel a été ton plus gros plantage ? Il a dû y avoir des moments où ça partait en cacophonie totale ?
J-C.P. : Oh là là ! [rires] Je me souviens d’un bug où toutes les pistes se déclenchaient en même temps au lieu de s’alterner. Imagine 15 boucles musicales différentes qui se superposent d’un coup ! C’était… disons… très expérimental ! Mais parfois, ces accidents donnent des idées. Ce bug m’a inspiré une séquence où le chaos musical fait partie du gameplay.
A.G. : Mais concrètement, tu commences par quoi ? La musique ou le gameplay ?
J-C.P. : La musique, bien entendu ! Le gameplay n’est que la couche interactive qui vient permettre à l’auditeur d’agir sur la musique. Tous les possibles musicaux doivent avoir été envisagés en amont, et validés comme musicalement intéressants. C’est une écriture non linéaire, une composition par réservoirs, où rien n’est vraiment laissé au hasard.
A.G. : Quel est le plus gros défi ? Faire de la musique ou faire un jeu ?
J-C.P. : Ça n’a rien à voir : les deux sont d’énormes défis, chacun à sa manière, mais la musique dépend de ma créativité tandis que le jeu dépend de ma technicité.
A.G. : Tu veux éduquer les gens à la musique acousmatique ou juste les divertir ?
J-C.P. : Trente ans dans l’éducation nationale et je continuerais à enseigner ? Non, sérieusement, je cherche à les divertir avant tout. On dit “jouer de la musique” : c’est un jeu ! on doit s’amuser ! S’ils apprennent des choses en même temps, eh bien tant mieux.
A.G. : Et maintenant, tu travailles sur Ascendance… C’est quoi la différence ?
J-C.P. : “Ascendance” est l’adaptation d’une pièce de théâtre que je n’ai jamais eue le plaisir de faire jouer ; un jeu basé sur la généalogie, une autre de mes marottes. Un voyage tragicomique à la rencontre des ancêtres, également construit à base de réservoirs non linéaires. N’importe quel arbre généalogique peut être chargé dans le jeu : les voyages sont différents à chaque fois. Mais je n’y travaille plus : il est terminé et sort le 9 juin. Je suis déjà sur un autre projet.
A.G. : Mais tu ne t’arrêtes jamais ! C’est de la boulimie ! Et ce sera quoi, cette fois ?
J-C.P. : “GraviTone”, une adaptation de l’exposition vidéo-musicale “Fluctus Planetarium” ; un autre de mes projets avec Louis Jeanne.
A.G. : Et après tu t’arrêtes !
J-C.P. : Jamais de la vie !
A.G. : Faudra quand même me laisser écrire de temps en temps… On me réclame la suite des aventures des homo permanens !
J-C.P. : Promis. Je te laisserai un créneau.